Quels modèles pour le maintien en emploi ?

20 janvier 2020
temps de lecture : 30 mn
16 pages A4

Pourquoi se questionner sur le maintien et la santé ?

Les récits d’expériences issus de la première phase exploratoire du projet en témoignent vigoureusement : le « maintien » n’est pas un état, mais une dynamique à l’issue toujours incertaine, dont les facteurs ne se résument pas à l’évolution de la santé ou de la maladie mais touchent au travail, à l’activité, au collectif, au management… autant de dispositions qui dépendent à la fois des configurations productives de l’entreprise et des possibilités offertes par la réglementation en vigueur.
Les situations où santé, travail et dispositions réglementaires convergent sont loin de couvrir toutes les situations et de les couvrir dans la durée.
Dans ce contexte, le projet d’innovation « Travail et Cancer du Sein dans les Entreprises et les Organisations » contribue à requestionner les options à prendre pour agir sur le maintien en emploi : faut-il « faire plus de la même chose » (sensibiliser, renforcer, amplifier ce qui existe) ou s’efforcer d’innover en changeant le paradigme du « maintien en emploi » ?

Les travaux de recherches issus des disciplines médicales et des sciences humaines et sociales convergent pour montrer que les questions du maintien évoluent dans un moule paradoxal où

    • le fait de travailler (y compris dans le cas de maladies graves comme le cancer du sein) est un facteur de santé et d’augmentation de l’espérance de vie en bonne santé.1 Haute Autorité de Santé « santé et maintien en emploi, prévention de la désinsertion professionnelle des travailleurs »
    • L’encadrement juridique et institutionnel du maintien en emploi passe d’abord par le fait de « faire valoir » sa maladie (ou son handicap), un cadre de référence cohérent avec
      • une conception de la santé comme l’absence de maladie
      • une conception de la maladie comme un ensemble de « pertes »
      • une conception du travail comme un ensemble de risques auxquels serait exposé passivement le ou la salariée, rendue plus vulnérable par sa maladie (son handicap).

Un moule paradoxal qui accueille particulièrement mal

  • toutes les situations où les salarié.e.s ont pour stratégie de faire avec leur maladie/handicap voire de la/le dissimuler2 cf. l’article de référence de Nicolas Dodier « La maladie et le lieu de travail » Revue française de sociologie, 24-2. pp. 255-270, 1983.
  • toutes les situations où l’enjeu central pour le ou la salariée réside dans la possibilité ou non d’avoir prise sur l’organisation du travail pour pouvoir, malgré l’incertitude et la variabilité de la capacité productive en lien avec la maladie ou le handicap, déployer des stratégies vivables pour concilier travail, performance et construction de la santé.

Ceci posé, le projet « Travail et Cancer du Sein dans les Entreprises et les Organisations » retient l’hypothèse que « plus de maintien » risque de renforcer la propension à médicaliser les problèmes du travail de celles et ceux qui rencontrent des problèmes de santé grave si d’une part, rien n’est entrepris sur les conditions du maintien, à mobiliser au plus près de l’activité de travail et si d’autre part, les cadres de référence institutionnel de la santé, de la maladie et du travail ne sont pas revus à due concurrence des enjeux du maintien : des nouveaux enjeux du maintien en emploi pourrait-on dire.

Les apports de la recherche en sciences humaines et sociales pour envisager de nouvelles voies

Le maintien en emploi, quels modèles derrière ces mots ?

Le maintien en emploi et la prévention de la désinsertion professionnelle sont des notions clés pour les politiques publiques (cf. partie1) et elles se sont diffusées sans peine dans les milieux professionnels, où elles renvoient parfois explicitement à des politiques d’entreprises, assises sur des accords, des chartes, des initiatives diverses. Pourtant, le vocabulaire entré dans les conversations courantes du maintien en emploi nous semble réducteur. Par exemple, les quelques travaux théoriques choisis de façon sélective ici invitent à enrichir nos grilles de compréhension des enjeux du maintien, au moment d’envisager des pistes d’expérimentation.

Le maintien : ce mot est doublement statique !
Est-ce un problème ? oui, car la notion théorique du maintien renvoie à un modèle dynamique ; ainsi, il conviendrait sans doute mieux de parler de trajectoire de maintien.

La survenue du cancer s’inscrit dans une trajectoire longue des individus3 on fait ici de larges emprunts aux travaux d’AM Waser et D Lhuilier cités dans la bibliographie ainsi qu’aux travaux fondateurs de Anselm Strauss.. La maladie a des effets, documentés notamment à partir des nombreuses études épidémiologiques disponibles qui sont essentiellement appréciés en termes de pertes, de diminutions des capacités. Or les personnes, quand elles reprennent le travail, disent reprendre le cours de leur vie, poursuivre leur trajectoire après l’épreuve du cancer et les traces plus ou moins profondes qu’elles laissent dans le cours de la vie.
Mais elles ne reprennent pas leur vie « comme avant », bien plutôt « comme après », faisant l’expérience prématurée de la préservation de la santé, à un âge où généralement cette question ne se pose pas. Cette expérience va alimenter leur trajectoire de maintien, en participant à la redéfinition de leur « milieu » professionnel pour pouvoir compenser leurs éventuelles difficultés par une organisation spécifique de l’activité tout en tenant compte des exigences du travail.
La trajectoire de maintien, c’est l’apprentissage de la meilleure façon de faire tenir ensemble les contraintes du travail et celles de la santé pour parvenir à un équilibre durable. En sachant que la durabilité ici n’a de sens qu’en référence à la variabilité de la capacité productive et qu’elle n’est donc envisageable que dans un système souple, évolutif pour épouser les contours de ces variations.
Ainsi, les personnes font preuve d’ingéniosité et déploient des stratégies pour tirer le meilleur parti de l’organisation du travail pour se réapproprier les contraintes du travail et ne pas les subir passivement mais au contraire, les surmonter, les dépasser pour s’accomplir. Comme le soulignent les auteurs, ici « le travail, c’est la santé ». Cela ne signifie pas l’absence d’ambivalence, de dilemmes à résoudre.

La santé, de quel modèle de santé parle-t-on ?
La survenue d’une maladie grave tend à faire pencher la santé du côté d’une conception réductrice, où la maladie définirait l’état de santé et où la maladie serait d’abord comprise dans le registre de l’empêchement, de la perte, de la déficience…
Or il existe deux modèles4 Ces développements s’appuient sur le travail d’argumentation scientifique proposé par la Haute Autorité de Santé à l’occasion de la publication de la recommandation « Santé et maintien en emploi : prévention de la désinsertion professionnelle des travailleurs » en février 2019. complémentaires de la santé en médecine: le modèle biomédical et biopsychosocial.
« Le premier procède de l’application en médecine de la méthode analytique des sciences exactes ; le deuxième tient compte des interrelations entre les aspects biologiques, psychologiques et sociaux de la maladie. L’évolution clinique des patients est déterminée, non pas par les seuls facteurs biologiques, mais aussi par les formes de vie collectives et les événements psychosociaux qui sont co-constitutifs de la vie du sujet, ainsi que par les structures et les valeurs qui caractérisent la communauté »5 Ces développements s’appuient sur le travail d’argumentation scientifique proposé par la Haute Autorité de Santé à l’occasion de la publication de la recommandation « Santé et maintien en emploi : prévention de la désinsertion professionnelle des travailleurs » en février 2019..

Dans le champ de la santé au travail, depuis de nombreuses années, les scientifiques de disciplines comme l’ergonomie et la psychologie du travail ont développé et partagé des connaissances décisives pour dépasser une vision de la prévention des risques auxquels la personne serait passivement exposée. Là aussi, la préservation de la santé ne se résume pas à l’absence de risques mais renvoie à la capacité d’y faire face, de disposer de marges de manœuvres, etc.

Ainsi, pour progresser dans les trajectoires de maintien des personnes concernées par une maladie grave, un handicap, un accident, il convient de clarifier le modèle de santé auquel se référer au risque sinon de concevoir des dispositifs incompatibles avec les enjeux visés. Par exemple, lorsqu’on mobilise le modèle biopsychosocial de la santé, on défend une représentation de la personne dans laquelle « les facteurs biologiques, psychologiques et sociaux sont considérés comme participant simultanément au maintien de la santé ou au développement de la maladie6 Ces développements s’appuient sur le travail d’argumentation scientifique proposé par la Haute Autorité de Santé à l’occasion de la publication de la recommandation « Santé et maintien en emploi : prévention de la désinsertion professionnelle des travailleurs » en février 2019. ».
Le fait de n’accorder aucune prépondérance à un déterminant sur les autres n’est pas neutre, par exemple quand on envisage un dispositif de retour au travail après une absence longue ; professionnel.le.s de la santé au travail, managers de proximité, expert.e.s fonctionnel.les dédié.e.s au maintien le cas échéant vont devoir travailler ensemble – et non côte à côte, avec une distribution de l’autorité a priori – ET avec le ou la salariée concernée à son retour. Tout autre dispositif de travail est voué à formuler des propositions potentiellement désajustées.

Les auteurs insistent : le modèle biopsychosocial est donc un élargissement du modèle biomédical : les facteurs biologiques y gardent toute leur place mais les stratégies thérapeutiques envisagées doivent comprendre simultanément, outre les modalités « traditionnelles » visant à modifier des paramètres physiologiques, divers moyens permettant d’agir sur les facteurs psychosociaux perçus comme participant au problème de santé.

Corollaire de ce modèle de la santé, la question de la participation du ou de la patiente et de l’importance accrue des aspects éducationnels. Nous y reviendrons plus largement, mais on voit se croiser ici des enjeux clés tant dans le champ de la santé que dans celui de la santé au travail, avec des parallèles à instruire entre les apports de l’Education Thérapeutique du Patient, le patient expert et ce qui resterait à instruire sur le volet « salarié.e expert.e » de son travail, et non de sa maladie.

Et les auteurs de conclure sur les enjeux de l’adoption d’un nouveau paradigme de prévention, articulé autour de

  • une prise en charge qui n’est pas centrée sur l’individu mais qui est systémique
  • un système d’intervenant.e.s qui dépasse la dyade patient.e/soignant.e pour inclure notamment le milieu de travail (particulièrement l’employeur et les collègues) et le système des assurances ;
  • une prise en charge qui vise d’abord le retour au travail pour que la personne puisse s’y accomplir et pas nécessairement la guérison comme préalable ou objectif de la reprise de l’activité professionnelle.

Travail ou emploi ? pourquoi est-ce important de clarifier ?

Maintien en emploi ou maintien au travail ? Dans le langage courant, on pourrait penser les deux formulations équivalentes. Pourtant, dès lors qu’on se réfère à des notions théoriques ou des concepts, elles ne le sont pas. La nuance n’est pas un détail : en effet, elle renvoie à un référentiel dont les différences n’ont fait que s’accentuer au cours des dernières années.

L’emploi, dans « maintien en emploi » s’est progressivement institué au point de ne plus être interrogé. On comprend bien, au regard des chiffres du sous-emploi des personnes en situation de handicap et des risques de désinsertion des salarié.e.s après une maladie grave, que l’accent soit mis sur l’emploi. Mais ceci ne peut avoir de sens quel que soit le travail auquel cet emploi permet d’accéder. Or aujourd’hui, de fait, seul l’emploi constitue la référence du cadre réglementaire de l’OETH (Obligation d’Emploi des Travailleurs Handicapés) qui vise un ratio de personnes à l’effectif des entreprises assujetties. Cette centration sur l’emploi est très problématique car elle tend à tenir en angle mort les situations concrètes vécues par les personnes qui travaillent, que ce soit après un cancer, avec un handicap ou une maladie chronique et par les entreprises et les collectifs qui les accueillent.
Or, c’est dans l’analyse et la compréhension fine de ces situations qu’une mise en visibilité des conditions de la performance sociale peut être définie, et ensuite seulement, traduite en indicateurs, comme le taux d’emploi par exemple.

Dans les entreprises – dans les grandes entreprises notamment – le découplage entre la gestion de l’emploi et l’organisation du travail constitue une des difficultés principales pour progresser dans la prise en charge des situations qui se posent quand les personnes souhaitent travailler pendant leur traitement ou reviennent après une longue absence pour une maladie grave. En effet, dans le schéma standard7 Waser AM et alii, « maladies chroniques, handicap et gestion des situations de travail » Sciences Sociales et Santé, Vol. 32, n° 4, décembre 2014, aux directions la responsabilité de la gestion de l’emploi et des mécanismes institutionnels de maintien en emploi, et au management de proximité la prise en charge de l’organisation du travail pour permettre aux salarié.e.s de trouver une place dans la solidarité productive et aux standards de production d’être atteints.

Ainsi, combinant les registres de l’emploi et du travail, les marges de liberté de l’encadrement vont s’avérer décisives pour permettre les ajustements rendus nécessaires, jour après jour, entre les aléas de la production d’un côté et les variations des capacités productives des salarié.e.s en lien avec la maladie. Ces marges de liberté peuvent combiner des réorganisations locales de la production et des solutions structurelles (effectif, polyvalence, …) qui relèvent plus de la gestion de l’emploi. Mais elles ne sont jamais limitées à l’emploi, le travail, l’organisation du travail, à l’échelle individuelle et collective, sont des leviers essentiels.

Notamment pour pouvoir jouer sur les différentes dimensions8 Lallement, Michel. Temps, travail et modes de vie. Paris, PUF, 2003 du « temps » que met en exergue la survenue d’une maladie grave en termes de :

  • le temps « DU » travail, c’est-à-dire la place du travail au cours du cycle de vie, les moments d’entrée et de sortie, la mobilité entre période d’activité et d’inactivité, l’insertion et les formes d’emploi selon les parcours professionnels etc. ;
  • le temps « DE » travail, qui s’intéresse au nombre d’heures travaillées effectives mais également à la flexibilité, à la prévisibilité de ces heures, à l’écart entre les horaires « légaux » et les horaires réels, aux normes temporelles à leur diffusion et leurs évolutions ;
  • le temps « AU » travail qui porte son attention sur les rythmes de travail, l’intensité et les effets sur les conditions de travail, la santé et la performance des travailleurs …

La survenue d’une maladie grave interroge le temps du travail et de nombreuses bifurcations de trajectoires en résultent, plus ou moins réussies selon l’état de santé, les possibilités de maintien réelles disponibles ; ces possibilités de maintien renvoient elles au temps de travail et au temps au travail.
« Le maintien en emploi » est donc une notion peu satisfaisante pour traduire les nouveaux enjeux des personnes et des entreprises, en tant qu’elle gomme une partie décisive des régulations à mettre œuvre pour parvenir, dans le temps, malgré les aléas et l’incertitude, à tenir ensemble travail, performance, santé.

La maladie et le lieu de travail9 Titre d’un article de référence de Nicolas Dodier « La maladie et le lieu de travail » Revue française de sociologie, 24-2. pp. 255-270, 1983.

Dans le domaine de la santé publique, sous l’impulsion d’initiatives clés développées en particulier dans le cadre de la lutte contre le Sida, la parole sur la maladie, les droits du patient, l’éducation thérapeutique du patient, tout ceci concourt à valoriser le mouvement de « libération de la parole », la « fin des tabous », etc. Dans le milieu du travail, l’auteur nous rappelle que ces attentes et ces valeurs sociétales ne sauraient être translatées sans précaution. En effet, « la maladie possède une propriété essentielle : elle est une atteinte aux capacités individuelles de réalisation des activités pour lesquelles nous avons été socialisés, et notamment le travail (…). La question est alors de savoir quand l’individu est considéré par les autres personnes comme relevant de l’une ou l’autre des catégories : devant telle atteinte à la réalisation du travail, doit-on imputer celle-ci à un état pathologique qui libère l’individu de sa responsabilité, ou à une volonté délibérée de sa part ? Les conséquences de cette attribution d’une étiquette sont capitales. »10 Titre d’un article de référence de Nicolas Dodier « La maladie et le lieu de travail » Revue française de sociologie, 24-2. pp. 255-270, 1983.
Dans le milieu de travail, le médecin11 Dodier parle ici du médecin de ville. est celui qui légitimement peut libérer le ou la salarié.e des attentes de son employeur ; c’est lui qui décide qui est « réellement malade » dit Dodier. Or le médecin est absent du lieu de travail, personnage clé de la situation ET simultanément absent de la situation, ce qui n’est pas sans conséquence sur la légitimité de sa décision aux yeux de l’ensemble des personnes en interaction avec le ou la salariée malade.
Deux modes d’interaction avec la maladie sur le lieu de travail sont isolés :

  • un régime libéral caractérisé par une logique de confiance, qui se caractérise par des modulations élevées sur tous les registres possibles que sont
    • les horaires,
    • l’intensité du travail et
    • le choix des activités à réaliser
  • un régime pointilleux caractérisé par une logique de soupçon avec des modulations faibles.

Quel que soit le régime en vigueur dans l’entreprise, d’une maladie à l’autre, la légitimité du comportement des salarié.e.s ne sera pas questionnée de la même façon. L’auteur nous invite à distinguer quatre types de maladies :

  • les maladies évidentes des maladies ambigües,
  • les maladies impératives des maladies ambulatoires.

Ces catégories nous semblent très opératoires pour élargir les politiques de maintien au travail, par exemple, dans le cas du cancer du sein qui traverse ces catégories, d’abord maladie évidente et impérative pour ensuite, quand les salarié.e.s reprennent leur travail (ou le poursuivent pendant leur traitement) une maladie ambiguë (la fatigue, les troubles cognitifs, difficiles à objectiver) et ambulatoire…

Ensuite, elles nous semblent très pertinentes aussi pour apporter des réponses nuancées aux attentes grandissantes – aux pressions parfois – pour que la situation de la personne soit « objectivée » afin de pouvoir prétendre à être légitimement prise en charge. Notamment quand la maladie est ambulatoire/ambiguë, les managers expriment la difficulté qu’ils éprouvent à justifier les arrangements qu’ils.elles adoptent pour permettre aux salarié.e.s de travailler et de prendre en charge leur santé ; disposer d’une information « objective/objectivable » leur semblerait la meilleure solution pour ajuster les modulations, pour justifier leurs décisions vis à vis du collectif, pour argumenter sur des ressources spécifiques dont ils.elles auraient besoin.
Or quand on lit Dodier, on comprend que cette demande d’objectivation, pour compréhensible qu’elle apparaisse, est plutôt une fausse piste, celle qui consiste à étiqueter la maladie au lieu de « déprivatiser » les questions de santé en entreprise pour les faire entrer dans une perspective plus collective12 Lhuilier D et Waser AM « Que font les 10 millions de malades ? vivre et travailler avec une maladie chronique » Editions ERES 2016, qui permette une organisation nouvelle. Dans cette organisation nouvelle, la pathologie ne serait pas le point central dans la prise en compte et la gestion des situations puisque les difficultés « tiennent moins à la pathologie qu’aux situations socioéconomiques et qu’aux limitations fonctionnelles dues à la maladie ou aux effets secondaires des traitements. Ce qui conduit à souligner la nécessité de se décentrer de l’approche diagnostique et donc médicale, pour privilégier la prise en compte des restrictions (…), en fonction des marges de manœuvre et ressources dont elles disposent ou qu’elles tentent de construire. »

Des accommodements raisonnables au « right to request », exploration de trois modèles de maintien en emploi différents

Après la théorie, nous proposons de rejoindre le terrain, tel qu’il se structure autour de trois propositions de politiques publiques, elles mêmes empruntant parfois largement aux modèles théoriques disponibles sur la santé, le handicap ou le maintien en emploi.
Ces modèles différents ouvrent des voies qui font écho à certaines expérimentations du programme en souscription : le référentiel pour un maintien raisonnable par exemple, mais aussi le référent collectif, la mobilisation des savoir d’expérience, etc.

On propose ici d’abord une synthèse sur la notion d’accommodements raisonnables, qu’on complète par deux déclinaisons très différentes de ce concept dans deux environnements différents

  • l’Australie, dans le cadre d’une politique publique de « right to request for flexible working arrangements »
  • l’Allemagne dans le cadre d’une politique conventionnelle de préservation de l’aptitude au travail

Dans le premier cas, avec le « right to request » on est toujours dans un cadre de référence ou il faut que la personne fasse « faire valoir » certaines caractéristiques sociodémographique pour être éligible quand dans le second cas, l’entreprise est engagée à agir dans toute situation présentant un risque de détérioration de l’aptitude du ou de la salariée.
Des conceptions sensiblement différentes donc qui conduisent à des dispositifs bien différents. Autant de « modèles » à mobiliser pour enrichir les expérimentations en environnement réel du projet « Travail et Cancer du Sein dans les Entreprises et les Organisations ».

Les accommodements raisonnables (Canada, puis Europe, puis France)

Une notion juridique issue des politiques de lutte contre les discriminations
La notion juridique d’ »accommodement raisonnable » est apparue dans le droit Canadien en 1985. Elle se définit comme une « obligation juridique, applicable dans une situation de discrimination, et consistant à aménager une norme ou une pratique de portée universelle, dans les limites du raisonnable, en accordant un traitement différentiel à une personne qui, autrement, serait pénalisée par l’application d’une telle norme »
Plusieurs points sont importants à souligner dans cette définition :

  • Elle s’inscrit dans le cadre de la lutte contre les discriminations, dont les discriminations religieuses13 La notion a fait l’objet d’une controverse politique importante outre atlantique, davantage dans le cadre des discriminations religieuses que des discriminations liées au handicap ou à la santé.. Si elle s’applique également aux personnes concernées par un handicap ou des difficultés de santé, elle s’ancre dans un cadre juridique qui n’y est pas directement associé. Le point de départ n’est pas l’aspect médical ou le couple santé / travail ; il s’agit ici avant tout d’une question d’égalité.
  • Cette égalité doit être assurée « dans la limite du raisonnable », c’est-à-dire qu’il s’agit d’une égalité de traitement, et non d’une égalité réelle. L’obligation d’accommodement de l’employeur n’est donc pas illimitée. Selon la jurisprudence canadienne en la matière, « les possibilités d’accommodement ne sont jamais infinies 14 « Guide d’accompagnement – traitement d’une demande d’accommodement », commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Quebec, mai 2018« 
  • Cette égalité de traitement se base sur une « situation de discrimination ». L’appréciation n’est pas uniquement statutaire, elle dépend du contexte dans lequel les faits se sont produits. L’approche situationnelle constitue un changement de perspective déterminant par rapport à l’approche médicale classique. Ce n’est pas la personne, mais bien l’entreprise qui est ici pointée du doigt et qui se doit d’agir pour « aménager une norme ou une pratique de portée universelle. » (c’est notamment pour lutter contre les discriminations indirectes que la notion d’aménagement raisonnable a été introduite dans le droit.) Ce renversement de logique s’accompagne du renversement de la charge de la preuve : c’est à l’employeur de démontrer qu’il a mis les mesures qui s’imposaient en œuvre et qui doit mettre en place les mesures nécessaires.

NB : De ce fait, on peut considérer que changer une norme ne peut être décidé par l’intermédiaire d’un seul « référent handicap ». C’est une décision concertée incluant des personnes de la Direction qui s’impose si l’on prend en compte l’esprit de la loi.

Une notion qui privilégie la négociation
La notion d’ « accommodement » elle-même (qui disparaîtra ensuite au profit de la notion d’ « aménagement (raisonnable) » dans le droit international et européen, et au profit du terme de « mesures (appropriées) » dans le droit français) souligne dès le départ l’engagement des deux parties dans une logique de conciliation :

  • Elle fait écho à la définition situationnelle de la discrimination : puisque l’ensemble des parties sont impliquées dans la situation, elles doivent collaborer pour trouver un accord commun. Si l’employeur est sommé d’agir, le salarié ne doit donc pas être « pris en charge » de façon passive (comme cela est parfois le cas dans la tradition médicale où la personne malade est désignée comme un « patient » qui serait donc en attente d’un traitement). Le guide relatif à l’accommodement raisonnable formalisé à destination des salariés et des employeurs précise à cet effet que « le demandeur doit aussi collaborer à la recherche de solutions et agir de bonne foi. Dans certains cas, sa non-collaboration peut mener à l’échec d’un accommodement. Par ailleurs, il ne peut exiger une solution parfaite, mais doit plutôt s’attendre à un « compromis convenable »15 « Guide d’accompagnement – traitement d’une demande d’accommodement », commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Quebec, mai 2018. Ce même guide invite d’ailleurs à inclure dans le dialogue sur l’accommodement les syndicats dans une logique tripartite.

Des usages en droit canadien et français qui confirment le dépassement de la dimension statutaire et la prise en compte élargie des besoins de la personne

  • Les situations prises en charge dans le cadre de l’accommodement raisonnable (ou de « l’aménagement raisonnable » dans le droit international ne sont pas associées à des statuts mais à des besoins. Ainsi, en France, Le Défenseur des Droits utilise cette notion pour défendre des dossiers pour lesquels les personnes n’ont pas forcément le statut de travailleur handicapé (par exemple pour les personnes s’estimant victimes de discrimination à la suite de maladies chroniques)16 « Guide d’accompagnement – traitement d’une demande d’accommodement », commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Quebec, mai 2018 — p50.
  • L’ »accommodement raisonnable » se veut être un outil plus proactif que réactif. Il rejoint en cela la notion d’anticipation, en créant un cadre préalable clair évitant dans la mesure du possible de traiter des situations dégradées.
  • Les « accommodements » ont dès le départ pour objet de faire évoluer les situations de travail en ciblant les aspects organisationnels. Ils ne ciblent pas que les aménagements matériels visant à compenser la situation de handicap, mais visent plus globalement à activer les leviers relatifs au temps de travail ou au télétravail par exemple. La jurisprudence confirme une utilisation large du panel de propositions que l’employeur se doit de proposer.
  • Les usages de l’ »accommodement raisonnable » concernent dans les fait essentiellement le champ du maintien dans l’emploi. Bien que la notion puisse être utilisée sur un plus large champ (le recrutement notamment), la notion d’ « arrangement » qui accompagne la notion d’ »accommodement » s’adapte mieux aux situations dans lesquelles un rapport préalable existe entre les deux parties.
  • La visée de l’outil juridique de « l’accommodement raisonnable » est donc de créer un cadre permettant une solution négociée. Cet usage du droit semble particulièrement adapté pour les salarié.e.s fragilisé.e.s dans leur relation d’emploi, comme c’est particulièrement le cas pour les femmes étant en situation de famille monoparentale. Celles-ci ont un usage du droit davantage tourné vers la négociation et l’ajustement17 « Handicap et aménagements raisonnables au travail. Importation et usages d’une catégorie juridique en France et en Belgique. » Aude Lejeune, Joël Hubin, Julie Ringelheim, Sophie Robin-Olivier, Frédéric Schoenaers, Helena Yazdanpanah,* leur situation nécessitant de limiter autant que faire se peut la confrontation directe.
  • La mise en place de l’aménagement raisonnable a tendance à renforcer les obligations de l’employeur (même si cela reste une obligation de moyens) et à renforcer la protection des salarié.e.s concerné.e.s18 « Handicap et aménagements raisonnables au travail. Importation et usages d’une catégorie juridique en France et en Belgique. » Aude Lejeune, Joël Hubin, Julie Ringelheim, Sophie Robin-Olivier, Frédéric Schoenaers, Helena Yazdanpanah

Transposition en France et infléchissement :
La transposition de cette notion dans le droit international, européen puis français a progressivement appauvri cette notion :

  • Le droit européen a préféré au terme d’ »accommodement raisonnable » le terme « d’aménagement raisonnable », qui renvoie au registre plus étroit de l’aménagement technique de poste. Dans le même mouvement, il restreint sont son champ d’action à la seule discrimination pour raison de handicap (alors qu’elle s’appliquait initialement aux différents types de discriminations : religion, âge, sexe…)
  • Le droit français évoque quant à lui les « mesures appropriées » à mettre en place par l’employeur, terme assez vague et éloigné de la notion d’ »accommodement raisonnable » initial.

Déclinaison en Australie : « Right to request flexible working arrangements »

Dans ce modèle issu du Fair Work Act de 2009, les dispositions suivantes sont prévues pour rendre possible la transformation d’un emploi en par le recours à des dispositions visant à rendre le travail flexible :

  • modification des heures de travail (en quantité ou en début/fin)
  • évolution des schémas de travail (par exemple, travail en équipes fractionnées ou partage du travail)
  • Changer de lieu de travail (par exemple, travailler à domicile).

Pour être éligible, il faut

  • Nécessité d’être dans l’entreprise depuis 1 an en temps plein ou partiel.
  • Sont éligibles les travailleurs qui sont parents, un aidant, en situation de handicap, âgé de 55 ans ou plus, victimes de violence dans un cadre familial

Le processus prévoit d’abord une discussion avec l’employeur puis une réponse par écrit de sa part. Doivent être pris en compte les besoins du demandeur, les conséquences pour lui si des changements dans les conditions de travail ne sont pas faits et tout motif commercial raisonnable de refuser la demande. Une fois que l’employeur a reçu la demande, il doit fournir une réponse écrite dans un délai de 21 jours. Un simple refus ne constituera pas une réponse suffisante – les employeurs ne peuvent refuser une demande que pour des motifs commerciaux raisonnables. Si la demande est refusée et qu’il n’y a pas d’accord sur une modification des conditions de travail, la réponse écrite doit indiquer s’il existe ou non des modifications des conditions de travail que l’employeur peut proposer à l’employé.
Si la demande est refusée et que les raisons fournies ne sont pas satisfaisantes pour l’employé, il peut s’adresser à la Fair Work Commission si l’employeur l’a accepté (par exemple, un tel accord écrit peut être prévu dans le contrat de travail, accord d’entreprise ou autre accord écrit).
La Fair Work Commission peut organiser une conférence avec les deux parties pour discuter des problèmes et tenter de trouver une solution. Ils peuvent également faire une recommandation sur la façon de résoudre les problèmes. On s’attend à ce que ces étapes résolvent la plupart des désaccords. Toutefois, en définitive, la Commission pour un travail équitable et l’Ombudsman du travail équitable ne peuvent pas ordonner à un employeur d’accepter une demande à moins que celui-ci ne l’ait accepté. Cet été le Conservative MP propose d’élargir le right to request en en faisant une mesure « par défaut », et non plus comme nécessitant l’accord préalable de l’employeur. Il faudrait alors que tout emploi puisse passer en travail flexible.

Une déclinaison en Allemagne, avec le management des aménagements négociés et la reconstitution de l’aptitude au travail

Le Code Social a engagé de nouvelles dispositions dans le champ du maintien en emploi et de l’intégration du handicap. Il s’agit notamment de la mise en place d’un protocole négocié de « gestion de l’intégration dans l’établissement » (Betriebliches Eingliederungsmanagement, BEM), instrument phare des politiques de prévention nouvellement introduites dans le Code social.
BEM : au-delà des salariés « handicapés » il s’agit de se préoccuper de tous les salariés qui risquent de voir se détériorer leur état de santé dans la vie au travail. La procédure du BEM vise à intervenir bien en amont d’une éventuelle rupture du contrat de travail qu’il s’agit ainsi de prévenir. Elle entend agir sur la reconstitution de l’aptitude au travail et empêcher la récurrence et la chronicisation d’épisodes pathologiques de l’ensemble des salariés, handicapés ou non.
Est ainsi confiée aux employeurs une fonction sociale auparavant essentiellement dévolue aux systèmes de protection sociale, avec deux principes clés :

  • La personne malade, d’une part, les représentants du personnel, d’autre part, sont désignés comme les co-acteurs de ce processus.
  • l’employeur doit créer pour la personne malade, handicapée ou susceptible de le devenir un environnement qui permet à cette dernière de reconstruire et de faire valoir ses compétences et d’occuper toute sa place dans la vie professionnelle et sociale.

La gestion concertée du maintien d’emploi dans la prolongation des pratiques de réadaptation et de codétermination

Une procédure de coopération et de concertation entre différents acteurs est instaurée qui s’inscrit, au niveau de l’établissement, dans des règles collectives dans le but de trouver des solutions à des problématiques individuelles.
La gestion concertée de maintien dans l’emploi sous le signe du BEM impose d’inventer de nouveaux modes d’interaction. Elle pousse plus loin le décloisonnement entre les sphères de la maladie et du travail. Les acteurs appelés à mettre en pratique ce changement de paradigme sont clairement identifiés et s’identifient eux-mêmes parfaitement : c’est « L’espace du travail concret »19 Maurice, Sellier et Silvestre, 1979
Cela autorise ses acteurs à organiser des réseaux de relations efficaces en interne comme avec d’autres niveaux (échelons centraux de l’entreprise, institutions externes) sur une base à la fois d’autonomie et de complémentarité.
Leurs conseillers-experts (Berufshelfer), interlocuteurs bien identifiés y compris dans les petites entreprises (Ahlers, 2010), ont pour mission d’entrer rapidement en contact avec les salariés victimes d’un accident ou d’une maladie professionnelle pour évaluer les possibilités autant que la motivation au retour dans l’emploi.
« L’accompagnement psychologique, la réintégration progressive, le réaménagement d’un poste de travail, la reconversion professionnelle : c’est de la routine pour les caisses professionnelles. Elles le font depuis des décennies, et ne serait-ce que pour éviter d’avoir à payer des retraites, la vie durant. Un couvreur tombé du toit ? On n’hésite pas : risque d’acrophobie. Des mesures sont prises immédiatement. Si on attend six semaines, c’est trop tard, le mal est devenu chronique », explique un expert de la fédération des caisses professionnelles.
Pour améliorer les chances de guérison, les membres de la famille et les collègues de travail sont sollicités20 Paridon, 2009.

L’assurance accidents revendique un rôle de précurseur quand il s’agit de « jeter des ponts » entre le système de la santé et celui du travail dont l’étanchéité est dommageable, aux yeux des experts, à la reconstruction de la capacité de travail des malades de longue durée bien plus consensuelle, le dispositif de « réinsertion par paliers » (stufenweise Wiedereingliederung) est très largement et de longue date utilisé dans les établissements du panel. Il s’agit d’une mesure thérapeutique, financée par l’assurance maladie, qui encourage les salariés à la suite d’une maladie grave ou prolongée à reprendre progressivement contact avec leur travail.
Juridiquement, le salarié reste malade et continue de toucher des indemnités maladie ; aucun salaire ne peut lui être versé. A tout moment, il peut se retirer de la mesure.
Le dispositif, très répandu en Allemagne, entend pallier les risques liés tant à la coupure prolongée du travail (perte de compétences professionnelles, démotivation, désintérêt croissant à l’égard du travail exercé …) qu’au retour sans transition (échec des expériences de réinsertion, perte de confiance en soi, etc.).
La formation et la certification des professionnels du disability management, fonction nouvellement créée et fondée sur des curricula internationaux, sont assurées en Allemagne par l’assurance accidents qui signale (en 2006) un nombre d’experts certifiés supérieurs aux autres pays21Données Eurostat, 2010 (Mehrhoff, 2006).

Esquisse d’une table de passage entre les conceptions habituelles du maintien et des conceptions à investiguer au cours des expérimentations en entreprise

Cadre de référence habituel

Cadre de référence à investiguer

Maintien en emploi

Mesures pour compenser « les pertes », focalisation sur « les capacités résiduelles » du travailleur…

Centration sur l’emploi

Développement par l’activité

Vieillissement actif

Approche proactive du développement de l’aptitude au travail

Se décaler sur le travail, l’activité

Salarié.e « pris.e en charge »

Salarié éligible à… (RQTH)

Approche statutaire

Salarié.e maitre d’ouvrage de sa propre vie

Tout salarié cf. notamment

  • importance du non recours aux droits(reco. HAS)
  • risque de stigmatisation / étiquette
  • Approche par les besoins

Modèle biomédical de la santé (santé publique)

Santé = état

Modèle biopsychosocial de la santé

Santé = processus dynamique

Approche médicale des problèmes

Travail risque = modèle des expositions

Approche sociale ou interactionniste

Travail = facteur de santé

Maladie
Limitation des capacités, focalisation sur les capacités résiduelles
Etat (malade, pas malade, plus malade)
Guéri = la vie comme avant
Traitement juridique de la maladie = arrêt de travail

Maladie
Fait partie des irrégularités de l’état de santé (approche évolutive, conditionnelle)
La vie comme après

Aptitude établie par la médecine du travail

Aptitude construite en situation de travail

Droit du maintien
2 régimes juridiques différents selon que le salarié est apte ou inapte

Trajectoire de maintien
Continuum de mesures possibles plutôt que le choix entre deux régimes juridiques différents ; examen des solutions envisageables indépendant des notions d’aptitude ou d’inaptitude

Obligation d’emploi pour certaines catégories de personnes

Egalité des droits, non discrimination

Acteurs légitimes pour décider = experts issus de la « pluridisciplinarité »

Acteurs légitimes = « l’espace de travail concret » pour décloisonner les sphères de la maladie et du travail

Cellules prévention désinsertion professionnelle qui « dictent » à l’entreprise ce qu’elle peut/doit faire

Détecter les situations de décrochage

Gestion de l’intégration dans l’établissement (modèle allemand BEM) avec les personnes ad hoc et de l’aide externe possible

Anticiper via le développement d’un « régime libéral » (cf. Dodier) de management de l’aptitude au travail